Question-réponse 59

Est-il permis à la femme d’être nommée Mouqadem dans la Tariqa Tidjaniya ?

REPONSE

Concernant votre question sur le Taqdim pour les femmes, cela a été en effet l’objet d’avis divergents. Certains l’interdisent, d’autres le permettent, mais en limitant leurs rôles aux femmes et d’autres encore le permettent aux hommes et aux femmes sans aucune condition.

La divergence porte surtout sur le fait qu’il ne semble pas exister de cas clair et précis d’une femme nommée à cette fonction du temps de Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret). Il y a pourtant bel et bien une allusion que l’on retrouve dans un courrier écrit par Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) dont le scribe fut Sidi Mohamed ibn Mechri (qu’Allah l’agrée). Dans ce courrier, il salue avant tout un groupe de disciples de Fès et parmi eux une femme, voici le passage en question : « […] notre écrit est adressé à nos aimés, à ceux qui nous sont les plus chers, détenteur des qualités pures et des états resplendissants, notre aimé sincère et notre véritable ami Sidi Hajj Taïeb Qabab, notre aimé son fils Abou Abdallah Sidi Mohamed ainsi que ses enfants, et la pure, éminente et noble dame, la Mouqadima Fatima […] » (cf. Kachf el hijab : le Mouqadem Sidi Hajj Taïeb Qabab.)

En ce qui concerne les compagnons de Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret), il n’y a que son grand compagnon Sidi Mohamed El Hafidh Chinguitti (qu’Allah l’agrée) et qui a été éduqué de ses nobles mains bénies durant deux années consécutives, qui a désigné son épouse à la fonction de Mouqadem. Elle était une femme sainte célèbre pour son Ouverture et elle faisait partie des dix Mouqadem qui lui étaient permis de désigner. Cela ne signifie pas que d’autres parmi eux ne l’ont pas fait, mais il n’y a pas de trace précise contrairement à ce dernier. De même, Cheikh ‘Omar Foutiyou (qu’Allah l’agrée) a désigné sa fille aînée la pieuse et Connaissante en Allah Fatima Madaniya à cette fonction.

Parmi les savants et sommités qui ont désigné des femmes Mouqadem il y a aussi le célèbre Alfa Hachim el Fouti qui vécut à Médine et qui y mourut. Il désigna dans cette ville prophétique bénie une femme surnommé « Allah Hayyou », car elle s’exclamait inlassablement par ces termes, et cela est mentionné dans Kachf el Hijab. Il y a aussi le Connaissant Cheikh Mohammed Fall qui désigna la Sainte dame Khadidja el Qara’at et il existe d’autres cas célèbres et moins célèbres. Pourtant certaines personnes, estimant qu’il s’agissait de cas exceptionnels pour des femmes exceptionnelles, interdirent cette pratique avec comme argument le fait que la femme ne peut assumer la responsabilité de l’Imama pour diriger les prières, donc par analogie ils estimèrent qu’il n’est pas permis de nommer une femme Mouqadem.

Or l’analogie ne peut être utilisée dans ce cas, car le statut d’Imam n’a rien à voir avec le statut de Mouqadem et puisqu’il n’existe aucune restriction, ni mention de la part de Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) ou de ses compagnons qui interdit ou limite le rôle de Mouqadem aux hommes, nous ne pouvons décréter de notre propre chef que cela est interdit. Dans toute la profusion d’ouvrages écrits par les savants de la Tariqa et des compagnons de Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) jusqu’à notre époque, nulle part il n’est fait mention dans les conditions pour le Taqdim, que cela est réservé aux hommes et interdit aux femmes.

Cette fonction est accessible à toute personne ayant les qualités requises pour assumer cette responsabilité qu’il soit un homme ou une femme. Dans l’une de ses réponses, Sidi Hajj Ahmed Soukeïrij (qu’Allah l’agrée) répondit sur ce sujet en disant : « Ce qui est fermement établi auprès de nous dans la Tariqa c’est que la femme peut devenir Mouqadem et donner l’autorisation pour les oraisons conformément à ce qu’à accompli Cheikh (qu’Allah sanctifie son précieux secret) et ses représentants après lui […] » puis il ajouta peu après : « certaines d’entre elles reçurent une autorisation absolue pour nommer des Mouqadem à celles et ceux ayant les qualités requises, comme cela nous a été rapporté de la part de gens dignes de confiance et nous avons eu la grâce de le constater dans certaines lettres de Cheikh (qu’Allah sanctifie son précieux secret). Il suffit comme preuve de la validité du titre de Mouqadem des nobles dames tidjani, le fait que dans les lettres de Seïdina (qu’Allah sanctifie son précieux secret) elles furent appelées par ce titre. Par conséquent, nous confirmons qu’il n’y a pas de condition limitant le titre de Mouqadem aux hommes, mais cela est attribué à ceux ayant les qualités requises, et cela qu’ils soient hommes ou femmes, vieux ou jeunes, de condition libre ou esclave […] »

D’autres estiment que cela est permis, mais qu’elle ne peut transmettre qu’aux femmes et non aux hommes afin d’éviter toute promiscuité et tentation entre les deux sexes. Mais là encore il est établi, comme l’a stipulé Sidi ‘Arbi ibn Sa-ih (qu’Allah l’agrée) dans son « Boughiya » que Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) a transmis lui-même la Tariqa aux femmes (en respectant les indications de la Chari’a que nous allons évoquer) et ses compagnons (qu’Allah les agrée) on fait la même chose. Donc, à partir du moment où cela s’est fait dans un sens (c’est-à-dire que les hommes ont transmis à des femmes) on ne peut s’appuyer sur l’argument du contact entre homme et femme pour restreindre le rôle de Mouqadem d’une femme aux femmes seulement.

Ainsi il reste évident que rien n’empêche qu’une femme dispense le Wird que ce soit aux femmes ou aux hommes à partir du moment où elle en a reçu l’autorisation et que sa chaîne d’affiliation est valide. Cependant, il faut respecter les conditions de la Chari’a qui ne permet pas de contact corporel entre les personnes de sexes opposés à part si la personne lui est illicite au mariage (Mouhram : tel neveu, fils, oncle) et c’est ainsi qu’agissait Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret). S’il en rencontrait une, il se contentait de transmettre par la parole sans contact et il l’installait derrière lui, lui-même se couvrant le visage avec une partie de son manteau, il répondait à leurs questions et leurs enseignait ce qu’elles avaient besoin de savoir concernant la Tariqa.

Seïdina Ahmed Tidjani (qu’Allah sanctifie son précieux secret) avait fait mention dans les conditions qu’il avait données à un de ses compagnons nommé Abou Salim El ‘Iyachi (qu’Allah l’agrée) en le désignant Mouqadem, de ne pas toucher la main des femmes lorsqu’il leur transmet l’autorisation pour le Wird sauf celles lui étant interdite au mariage (Mouhram). Il faut aussi prendre en compte qu’elle ne pourra pas assister ou diriger l’assemblée de la Wadhifa et du Heïlala des hommes et qu’elle sera tenue à tout ce qui concerne les disciples parmi les femmes, comme accomplir ses oraisons à voix basse. Autrement, il n’y a aucun obstacle dans la transmission, l’enseignement et l’apprentissage des sciences de la Tariqa aux hommes, car d’une part le cas de femmes savantes enseignants le Qoran, les Hadiths et les diverses sciences de l’Islam dans l’histoire musulmane, et ce, jusqu’à notre époque, est connu et reconnus depuis les premiers temps.

Les compagnons et les Suivants (qu’Allah les agrée) ont tiré leurs savoirs aussi bien des hommes que des femmes de leurs époques. Des savants renommés tels l’imam Chafi’i, Qatâda, Al-Soubkî, Al-Dhahabî, Ibn Taymiyya, Ibn ‘Asaker, Jalaleddine Souyouti et des milliers d’autres ont tous eu parmi leurs professeurs des femmes qui leur ont transmis leurs savoirs et octroyé une autorisation. D’autres parts le cas de femmes ayant obtenu la maîtrise spirituelle et guidés des hommes dans la voie de Dieu est aussi connu et le célèbre Connaissant Ibn ‘Arabi el Hatimi (qu’Allah l’agrée) fait partie de ceux qui ont été disciples de ces femmes exemplaires.

Maintenant, à notre époque-ci, nous avons connaissance de cas de femmes nommées Mouqadem au sein de notre noble Tariqa et pour notre part nous n’avons rien à en redire si les conditions liées à la Chari’a sont respectées et qu’elles remplissent aussi les critères rigoureux permettant l’accession à ce titre, tout comme cela doit l’être pour les hommes. Enfin il est bon de tenir compte du fait que cela ne suscite point de polémique inutile, car même dans la légitimité il est préférable de délaisser ce qui suscite la polémique au sein d’une communauté, et cela varie selon les contextes, les coutumes et les mentalités d’un pays à un autre.

Recherche et traduction par la Zaouiya Tidjaniya El Koubra d’Europe