Question-réponse 95

Pourquoi le fils de Sidi Ahmed tijani s’est battu contre l’émir Abdelkader ?

REPONSE

Trop souvent l’histoire du conflit ayant eu lieu entre Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) et l’Emir Abdelkader est présenté avec un aspect dénaturé. En effet, à l’époque de leur conflit, l’émir Abdelkader a été dépeint comme le héros qui s’opposait à l’armée du colonisateur français et Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) comme celui qui lui a fait obstacle, mais cela est entièrement faux.

La réalité historique durant cette période est bien différente, il est donc nécessaire de recadrer le contexte pour mieux comprendre. Aussi, depuis qu’il fut choisi comme « Sultan » de la révolte dans l’Ouest algérien le 21 Novembre 1832 par une assemblée de chefs de tribus, l’Emir Abdelkader s’évertua à freiner d’une part et reconquérir d’autre part ce que l’armée française avait pris. Les combats firent rage et au fur et à mesure de ses diverses victoires ou défaites, de plus en plus de tribus se joignirent à lui. Il était devenu le leader autour de qui ils pouvaient se rassembler et qui représentait leur désir de chasser les envahisseurs loin des terres algériennes. Cependant, ces combats étaient concentrés sur une partie du nord de l’Algérie, avec entre autres, Oran et Alger. L’Emir Abdelkader n’était pas le seul opposant qui affrontait les Français, car ces derniers devaient aussi combattre les derniers bastions encore sous l’autorité turque ainsi que d’autres tribus kabyles.

Ainsi, l’émir Abdelkader n’était que l’un des dirigeants arabes d’une région ayant fédéré plusieurs tribus dans un objectif commun et dont la popularité se propagea progressivement. Les gens du nord lui accordèrent donc leur confiance dans ce combat au nom de l’Islam, sans distinction de clan, avec notamment les disciples de la Tariqa Tidjaniya de ces régions qui rejoignirent ses rangs. Quant aux habitants du Sahara, ils étaient trop loin du conflit et personne à cette époque ne s’intéressait encore à eux, ni les Français, ni même l’Émir. Cela n’empêcha pas l’expédition d’aides financières à partir de ces régions au profit du Djihad. Certaines archives à ‘Aïn Madhi mentionnent le montant des dons que Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) expédia à l’Émir de la part des différentes tribus composants ‘Aïn Madhi : 131 dromadaires, 1000 pièces de monnaie, 200 charges de moutons, chevaux et serviteurs, 12000 riyals…jusque-là il n’y avait aucun problème particulier à signaler.

Ce fut le 30 mai 1837 que survinrent les complications, lors de la signature très controversée du traité de la Tafna. Ce traité de paix conclu entre l’Émir et la France, et dans lequel le juif Léon Juda Ben Duran, conseiller intime de l’Emir, joua un rôle prépondérant. Il reconnaissait entre autres la souveraineté de la France sur une partie de l’Algérie tandis que l’Émir fut reconnu comme le Sultan des Arabes sur les 2/3 restants. Certaines tribus se révoltèrent alors, accusant l’Emir Abdelkader d’avoir trahi leur cause au profit de son ambition personnelle. La France étant devenue une ennemie pacifique, l’Emir Abdelkader entreprit de punir toutes formes de révolte sous le couvert du traité. Il engagea son armée afin d’une part de réprimer l’insurrection naissant et d’autre part de décourager d’autres de suivre l’exemple. La France devint même son allié et lui prêta main-forte avec l’envoi d’armes.

Loin de nous la pensée de juger les décisions de l’Emir Abdelkader à ce sujet, quoique discutables, qui furent certainement un choix politique audacieux. C’est dans ce contexte où l’Émir avait besoin de conforter sa légitimité au sein des Arabes et d’organiser son nouveau et fragile royaume que les circonstances du siège de ‘Aïn Madhi se mirent en place. Ce fut en la personne d’un dignitaire, sidi Hajj ‘Arbi ibn Hajj ‘Issa Laghouati, que cela se déroula. En effet, ce personnage se présenta auprès de l’Émir avec des présents et une délégation de certains chefs en lui certifiant qu’il avait rallié l’attachement des habitants de Laghouat à son égard et que tous étaient prêts à se soumettre à lui. L’Emir Abdelkader le désigna comme son Khalife à Laghouat en l’investissant du pouvoir de le représenter là-bas.

Cependant, ce que ce personnage avait omis volontairement de lui dire, c’est que la ville avait toujours été départagée en deux parties, lui-même ne faisant partie que de l’un des deux clans. Par ce subterfuge, il désirait forcer l’autre clan ainsi que son chef à se plier sous son autorité en se présentant comme le porte-parole du « Sultan des Arabes ». Or l’autre clan en question ainsi que leur chef étaient tous sous l’autorité du maître de ‘Aïn Madhi, Sidi Mohamed el Habib Tidjani (qu’Allah l’agrée). Aussi, quand les conflits habituels reprirent le dessus à Laghouat, Sidi Hajj ‘Arbi s’en plaignit à l’Émir en lui dépeignant la situation comme une intrigue récente provenant de Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) cela afin de s’approprier le pouvoir à Laghouat.

L’Émir, qui avait déjà dû faire face à ce genre de complot, pensa réellement que la situation nécessitait d’être prise au sérieux. De plus il était impératif de ne pas perdre sa réputation au regard de ces tribus du désert auquel cas chacun prendrait l’initiative de lui disputer son autorité dans ces régions. Il prit donc la direction de ‘Aïn Madhi le 12 Juin 1838 avec une armée composée de six mille cavaliers, trois mille fantassins, plusieurs canons…

Ils arrivèrent au bout de dix jours près du Ksar fortifié de ‘Aïn Madhi. Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) y était retranché avec six cents hommes venus de toute la région pour le secourir. Les pourparlers n’aboutirent à aucune solution et plusieurs situations en furent la cause :

L’Émir désirait soumettre Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) sous son autorité afin de l’obliger à cesser toute prétention sur son pouvoir terrestre. Il demanda à le rencontrer à ce sujet, mais Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) n’avait jamais désiré s’emparer d’un tel pouvoir contrairement à ce qu’avait prétendu le khalife de Laghouat Sidi Hajj ‘Arbi. Il ne voyait pas non plus l’intérêt de lui prêter allégeance puisque le « Djihad » avait été clos par le Traité de la Tafna. Il fit dire par l’émissaire : « Sachez cher maître que je n’ai aucune prétention ni ne recherche le conflit. Je suis le représentant d’une voie spirituelle qui ne se soucie que des affaires de l’au-delà et je ne désire avoir aucun lien avec les détenteurs du pouvoir en ce monde. Je le certifie de nouveau, notre intention est pure. Cependant si le Sultan veut tout de même forcer ma rencontre, qu’il sache qu’elle ne sera possible qu’en détruisant les murs de ma ville et en pourfendant la poitrine de mes serviteurs. ». En effet jamais Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) n’a voulu entrer en contact avec les détenteurs du pouvoir terrestre. Il avait déjà refusé auparavant de rencontrer le Bey Hassan et jamais il ne rencontrera l’Emir Abdelkader, ni avant le début des hostilités, ni pendant, ni même après, et il refusa encore moins de rencontrer les représentants de la France malgré leur convocation, et ce, jusqu’à sa mort.

Les pourparlers furent conduits par un conseiller intime de l’Emir, un certain Omar ould Rouch, un français converti. Ce personnage n’est autre qu’un espion célèbre à la solde de l’armée française qui se nomme Léon Roches. Il dupa longtemps l’émir en se faisant passer pour un musulman à son service et influença nombre de ces décisions. Selon ses dires, il aurait poussé l’audace jusqu’à enfreindre la sacralité des lieux saints de La Mecque et Médine en 1842, afin d’aller chercher un avis juridique (Fatwa) des autorités religieuses, en faveur d’un rapprochement des musulmans avec la France.

L’armée de l’émir Abdelkader était composée en grande partie de la tribu des Hachem. Cette tribu est celle qui avait trahi son frère Sidi Mohamed el Kebir (qu’Allah l’agrée) quelques années auparavant lors de son conflit avec les autorités turques, et qui fut la cause de son martyr avec trois cents de ses alliés.

Suite à l’échec des négociations, le siège de ‘Aïn Madhi débuta. L’Émir pensait boucler au plus vite cet épisode, mais contrairement à ses attentes aucun assaut ne réussissait à aboutir à la prise du Ksar. Plus le siège durait et plus la réputation de l’Emir perdait de sa crédibilité. L’Emir Abdelkader reçut en renfort du gouverneur général français quatre cents obus de canon, mais rien n’y faisait, toutes les tentatives restèrent infructueuses.

Débuta alors une guerre d’usure et ce qui ne devait prendre que quelques jours s’étala à plusieurs mois au point que certains de ses conseillers lui exprimèrent le souhait d’abandonner l’offensive. Ne pouvant envisager un tel échec, le 19 Novembre il proposa à Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) un dernier arrangement afin que tout le monde en sorte gagnant. Les clauses générales autoriseraient Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) avec tous ses hommes et son entourage à quitter ‘Aïn Madhi en toute sécurité pendant au moins quarante jours. Durant cette période l’Émir et son armée occuperaient la Ksar. Ainsi il remplirait sa promesse d’entrer au sein de cette forteresse imprenable et personne ne pourra lui reprocher d’avoir échoué dans son entreprise. Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) accepta et c’est ainsi que prit fin le siège de ‘Aïn Madhi.

Par la suite, l’Émir sut que Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée) était sincère et il reconnut son mérite. Il regretta ce qui s’était passé et il lui envoya un courrier d’excuse avec des présents. Le courrier d’origine écrit de la main de l’Emir Abdelkader est toujours sauvegardé à ‘Aïn Madhi et voici la traduction du contenu :

« Louange à Allah et qu’Allah prie sur notre maître Mohammed ainsi que sur sa famille, ses compagnons et qu’Il les salue.

Ensuite, à l’attention de Sidi Mohamed el Habib fils du grand savant Sidi Ahmed Tidjani. J’ai reçu votre réponse dont il n’y a rien à redire, et cela après mon incapacité à pénétrer l’intérieur de votre enceinte et que je sois parvenu à connaitre votre réalité. J’ai su que les évènements de notre confrontation n’ont été que le fruit des diffamations et de l’intrigue de fauteurs de troubles destinés à nous opposer l’un à l’autre. Aussi, j’espère que vous nous pardonnerez. Je vous envoie ces modestes présents par le biais de votre fils Ahmed, peut-être que cela renouvellera les liens de fraternité entre nous.

De la part du pauvre en Allah, l’insignifiant au péché abondant Abdelkader fils de Mohiedine el Moustapha ibn Mokhtar, qu’Allah agisse envers lui avec douceur en ce bas-monde et dans la demeure de l’établissement.

Le 23 Dhou-l-Qa’da 1254, et Paix. »

Parmi les présents il y a deux étendards (en bordeaux sur la photo) qui sont conservés à ‘Aïn Madhi, là où est inhumé Sidi Mohamed el Habib (qu’Allah l’agrée), ainsi qu’une épée ornée d’or.

Recherche et traduction par la Zaouiya Tidjaniya El Koubra d’Europe